Monter en grade
25 Nov 2014Entre chefs
Ca chauffe fort cette semaine! La chefferie d’Hanyigba est convoquée chez le chef d’arrondissement! Abou chef de programme UA chez le Préfet….
Eugène, le diplomate attitré et très percutant dans le jeu d’acteurs est convaincu, il faut m’emmener voir le chef d’arrondissement, très en colère contre UA et Abou, (je devrai peut être inverser l’ordre.)
La délégation quitte le village en zem bien entendu, l’allure de mon pagne et un peu limite !
Chef et chef
Nous sommes dans la maison du chef d’arrondissement- Togbui Agodo VI, on attend,… face à moi à droite le chef d’Hanyigba par intérim, à sa droite, le chef représentant des jeunes. Une table épaisse, un décor africain, nous sommes tous sur des chaises en bois massif, le chef d’arrondissement sera sur un tabouret, un peu plus haut que les nôtres. E. Hall aurait toute légitimité à traiter un chapitre sur les comportements sociologiques africains dans leurs rapports à autrui.
Nous attendons un peu longtemps, le verre d’eau d’accueil est obligatoire, il est impossible de le refuser; on en verse même un peu au sol pour les ancêtres et les dieux. Je vois là mon angoisse monter… comment ne pas boire cette eau qui inévitablement rendra mes intestins incontrolables et m’obligera à fuir comme un voleur en pleine séance, mon bras droit Eugène notre diplomate fait un signe pour que le régime de faveur “bouteille de Voltic” me soit apportée.
Notre hôte arrive accompagné de ses conseillers. Salutations respectueuses et partagées et la séance commence. Les propos en Ewé me permettent de simplement écouter et observer - quelques mots en français s’intègrent de ci de là- n’ayant sans doute pas leur semblable!! je note “précipiter”, ou 14 juillet, la justice…puis “la loi du plus fort est toujours la meilleure…. et surtout regarde cette belle leçon de respect et dignité. La prise de parole est calme, un temps de parole, certes beaucoup plus long que chez nous, mais qui vraisemblablement entoure les messages de soie, d’images, de proverbes et qui caresse ainsi la sensibilité et l’argumentaire en réponse de l’interlocuteur d’en face.
J’observe aussi cette différence, un homme parle, les autres sont à l’écoute concentrés, ils ne laissent surtout aucun signe qui pourrait trahir leur point de vue. Les yeux sont fixes, les visages de cire, le torse droit, on ne visualise pas les mains. la parole est un art, elle est aussi propriété de son auteur et non un chiffon commun sur lequel on s’aggrippe, le tirant à soi au risque de le déchirer comme trop souvent dans nos échanges européens. On peut imaginer troubadours ou artistes qui ont là une occasion de séduire leur public et de proposer le numéro , le grand numéro. Je savais bien que mon tour allait arriver et décidais de sortir mon tutu d’équilibriste, ne sachant trop d’ailleurs ce qui allait m’être reproché…
J’ai encore quelques progrès à faire mais ai lissé progressivement les amertumes de Chef et enrobé de compréhensions complices les maladresses et piments d’Abou. La séance a duré de 8 heures à 12h30. Un break a eu lieu avec ce fameux “sodabi” boisson, que nous trouverions plus facilement dans nos rayons droguerie, côté DESTOP ou jardinerie côté Round Up. Après un 1° tour de ce tord boyaux, La complicité bat son plein et le chef va chercher alors sa cuvée spéciale “ le même mais mariné aux mandarines et dates”, ah oui autre chose, la cuvée du chef!!
Une 3° tournée s’annonce, je n’ose refuser ne voulant pas détruire d’un seul mauvais geste la portée de mon numéro, je m’aperçois être alors la seule à assumer le 3° Sodabi, à 12h à jeun sous 35°. Dans un petit état avancé je vois alors un mouvement général, et mon ami Eugène demande au Chef de me décorer de ce collier en pierre très très convoité qu’il sort d’un de ses meubles….La reine d’Hanyigba!!! (avec un petit air éméché tout de même!) Je vous laisse ainsi en compagnie de “Point de vue et image” et voyez ci-dessous:
A la une de Gala
De gauche à droite: Le chef des jeunes, Abou qui entre temps nous a rejoint, le grand chef de canton, “la reine”, le chef de village d’Hanyigba, notre diplomate Eugène, et le bras droit du grand chef.
Outre cette apparente mascarade, les échanges de ce petit échantillonage de gens était fort riche de sens: la chefferie, instance traditionnelle, le pouvoir et la délégation des services de l’Etat, le responsable d’ONG, le médiateur diplomate notable acteur déterminant du village, et le bénévole européen. Les thèmes de fond ont jailli à la surface: Où s’arrête l’assistanat? Y a t-il Désir ? et savent ils l’exprimer? Un capitalisme finissant pour une économie solidaire naissante chez nous…. Une solidarité de survie évidente chez eux mais mortifiée si l’ombre de l’argent ou de l’appropriation de biens pointe le nez…
Vraiment des échanges de très bon niveau ! Je suis invitée à revenir même sans UA…